Les contributions de FNE Normandie à l’enquête publique sur le projet d’arrêté de prolongation des néonicotinoïdes

Site de la consultation : https://agriculture.gouv.fr/consultation-publique-projet-darrete-autorisant-provisoirement-lemploi-de-semences-de-betteraves-2

Glossaire :
  • DL : décilitre
  • NNI: néonicotinoïdes
  • SAU : Surface agricole utile
  • STOC: Suivi temporel des oiseaux communs

Contribution de Claudine Joly

 

« Cette proposition de dérogation pose typiquement la question du choix entre maintenir une productivité maximale d’une culture intéressante économiquement et préserver le reste de populations d’insectes sur notre territoire, entre avoir un intérêt économique à court terme et un impact écologique à moyen terme.
Notre société fonctionne sur le court terme à tous les niveaux, l’entrepreneur agricole ou autre / ses revenus, ses « fins de mois », les décideurs politiques / leur prochaine élection et leur bilan économique. D’emblée le système tourne le dos aux sujets de moyen terme même s’ils seront vitaux pour l’ensemble des populations d’ici 30 à 40 ans, on le voit pour le climat alors que les conséquences sont déjà sensibles clairement, pour la biodiversité et les populations d’insectes, on ne voit rien et en réalité peu de personnes sont intéressées par ces « bébêtes » dont nous avons plutôt peur, avec lesquelles nous ne cohabitons pas volontiers du tout : ça gratte, ça pique, ça traîne partout, il y a scatophage du fumier (Scathophaga stercoraria) ! Qui peut se soucier de leur disparition hormis quelques naturalistes excités ?

 

Alors je ne sais pas si je fais partie de ces extrémistes quand je m’inquiète des réductions drastiques des populations d’insectes (- 70 % en 30 ans selon une étude allemande), quand je m’inquiète des réductions drastiques de populations d’oiseaux en zone agricole en France (- 30 % encore dans les 15 dernières années selon le protocole STOC en France), quand je m’inquiète des réductions de populations des hérissons (si vous avez des chiffres précis, merci de me les passer mais pas de doute
sur le global). J’ai exercé longtemps comme vétérinaire + un master 2 d’écologie, depuis que je m’intéresse à ces sujets, j’essaie de me rassurer, d’aborder les sujets rationnellement mais les chiffres sont implacables et rien ne me rassure, l’arrêt d’usage des néonicotinoïdes était une avancée importante quasi inespérée malgré l’évidence de leur impact sur la biodiversité lié en grande partie à leur très forte toxicité (DL 50 abeilles qqs milliardièmes de gramme) mais surtout à leur rémanence dans les sols , leur diffusion dans les plantes, les sols, l’eau puisqu’on retrouve des NNi dans le pollen de fleurs de zones qui n’ont jamais été traitées. La période où les semences de céréales étaient quasi
systématiquement traitées (80 % des surfaces) avait imbibé tout le territoire de ces produits.

 

 A force de l’implication de scientifiques, de quelques politiques, ces traitements ont été enfin retirés et maintenant ils reviennent encore ! Je ne suis même plus scandalisée mais tellement triste. Quand on dit « gouverner c’est prévoir », c’est prévoir quoi ? D’avoir à indemniser quelques agriculteurs à court
terme ou d’avoir à palier l’effondrement de la biodiversité à terme à peine plus long ? Il paraît que nos responsables sont des gens intelligents, pour une courte vue peut-être mais à échéance de 20 ou
30 ans, sûrement pas ! Et j’en suis la première navrée ».

Claudine JOLY, membre du Directoire de FNE Normandie

Contribution de Joël Gernez

 

« Membre de France Nature Environnement Normandie, je suis défavorable à la prolongation de 120 jours de l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec un produit phytopharmaceutique contenant la substance active imidaclopride ou thiamethoxam. Ces produits ont fait l’objet d’une dérogation à cette interdiction pour  » trouver des solutions alternatives  » .

Ces alternatives, pour l’agriculture industrielle, ne consistent qu’en l’élaboration de nouveaux produits, et non un changement réel des pratiques agronomiques. Aucune molécule n’est capable de lutter sélectivement contre le puceron transmetteur de la jaunisse de la betterave, les effets collatéraux sont toujours une atteinte grave à la biodiversité, en particulier sur les pollinisateurs.*
Ces produits sont rémanents pendant des années et sont retrouvés même en dehors des parcelles traitées au gré de la circulation des eaux qu’ils contaminent. L’emploi en enrobage de semences n’est pas justifié par la présence du puceron mais par la présomption de sa future présence, ce qui est une interprétation abusive du principe de précaution.
Des méthodes éprouvées incluant par exemple des rotations de cultures longues et l’augmentation du taux de matière organique dans le sol, sont à même de limiter durablement et sans danger les problèmes rencontrés sur les cultures. Il faut sortir du dogme  » un problème, un produit  » en vigueur depuis les années 60 et voir l’agriculture comme incluse dans l’ensemble du vivant.
Les méthodes alternatives existent en agriculture biologique. Elles sont exigeantes, mais il est nécessaire de former les agriculteurs à ne pas être de simples applicateurs de recommandations dictées par les laboratoires de surveillance ou les vendeurs comme c’est trop souvent le cas.
Des publications ont tenté de  » défendre le sucre français  » au motif qu’il s’agit d’un enjeu stratégique pour le pays. Mais que vaut cet enjeu au regard de la biodiversité dont on sait qu’elle risque de manquer cruellement aux générations qui nous succéderont ? Peut-on accepter que 70% des insectes aient disparu en moins de 50 ans, et que la tendance s’accélère au lieu de ralentir ?

Le projet de sucrerie géante envisagé à Rouen, impliquant la culture d’au moins 50 000 hectares de betteraves dans le Calvados, ( près de 15% de la surface agricole utile du département ) est particulièrement inquiétant.
La récente décision de la Cour de Justice Européenne va dans le bon sens . L’Etat doit proposer éventuellement des solutions d’urgence économique pour les planteurs mais les services écosystémiques de la biodiversité sont incontestables et cruciaux.


*: Entre ressources et processus : la constitution de la biodiversité agricole comme problème public mondial, Marianna Fenzi, Christophe Bonneuil et Pierre-Henri Gouyon, 2012. In « Regards sur la Crise Écologique : Pour une Socio-Anthropologie de l’environnement », Sous la direction de Sophie Poirot-Delpech et Laurence Raineau, Éditions L’Harmattan.

                                     Joël GERNEZ, membre du Directoire de FNE Normandie

 
 

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